Avant propos...
Aujourd’hui les anciens psychologues de l’île constatent que les mêmes réflexions et problématiques émergents des nouveaux professionnels arrivant sur le territoire et lors de leurs premiers mois d’exercice… Et c'est bien normal !
Mayotte vient questionner de part ses spécificités locales.
Afin d’améliorer l’accès à ses réflexions et problématiques rencontrées, nous avons décidé de créer une rubrique qui donnerait un aperçu de ce qui a déjà été pensé, travaillé et questionné avec différents thèmes dans le but aussi d’améliorer son avancée.
Le but est donc de donner un aperçu de ce qui a déjà été pensé, sans pour autant le laisser de manière figer. Il s'agit plutôt d'un historique non exhaustif de ce qui s'est dit sur différents sujets mais surtout de pousser à la réflexion au regard de ce qui s'est déjà dit.
Bonnes réflexions !
La place et la représentation du psychologue à Mayotte
Souvent appelé « Docteur ya fikira » ou le docteur des pensées.
En sachant qu’à Mayotte, tout ceux qui portent la blouse (de l’ASH au Médecin) sont appelés Docteur, dans le sens « celui qui sait ». Une sorte de Foundi (celui qui sait, le professeur) de la psychologie en quelque sorte ?
Il y a une certaine méconnaissance du métier de psychologue qui, selon les publics, peut permettre de parler plus facilement avec la personne. Le psychologue n’est pas forcément assimilé à l’image du fou comme cela a pu et peut toujours l’être en métropole, sauf pour les personnes qui ont pu aller en métropole pendant plusieurs années. De plus, il n’y a pas beaucoup d’espaces de parole à Mayotte et la plupart des personnes s’en emparent dès qu’on le leur propose. C’est d’autant plus vrai au niveau groupal, qui fonctionne très bien à Mayotte.
Dans les prises en charge, impossibilité de travailler au niveau psychique tant que le « basique », le premier socle de la pyramide de Maslow n’est pas comblé (c’est-à-dire la nourriture, un toit sur la tête, l’eau, l’électricité…) : le discours psychique n’est pas accessible. C’est pourquoi un véritable travail avec le service social est souvent indispensable, afin que l’urgence sociale n’empiète pas sur les possibilités de penser. Il s’agit tout à la fois d’offrir sans condition la possibilité de déposer ses difficultés et de proposer un relais. La continuité avec les référents, si elle est bien repérée par les patientes favorise « le potentiel mobilisateur d’une articulation inter-professionnelle » (Molénat 2001 : 114 ; Gioan et al 2009).
Cela peut sembler évidement, mais concrètement il est parfois nécessaire de pallier à certains manques, notamment au niveau social, et d’accompagner la personne plus que la place du psychologue « classique » le permet pour pouvoir ensuite entrer dans un « vrai » travail psychothérapeutique.
Par ailleurs, bien que l’on puisse se poser la question du cadre d’intervention, du fait que cette posture puisse interférer dans un travail thérapeutique de qualité par la suite, nous pouvons également observer que cela consolide la relation d’alliance thérapeutique et le lien de confiance avec la personne. Une fois le côté social placé « en sécurité », peut-être cela peut-il faciliter la qualité du travail thérapeutique par la suite ?
En tout cas, cela vient toucher le côté humain du thérapeute, qui ne peut faire abstraction de cette réalité du patient.
La langue et l’interprétariat
Peu de structures proposent un réel interprétariat. Or, n’ayant que peu de diplômes accessibles directement à Mayotte, beaucoup de professionnels nécessitant des diplômes viennent de métropole ou d’ailleurs, et donc ne parlent pas shimaoré, ni shibushi (la 2ème langue officieuse de Mayotte, un dérivé du malgache).
Comment travailler alors avec la moitié de la population mahoraise qui ne parle pas français ?
La plupart des structures proposent de travailler avec les collègues parlant shimaoré.
A l’hôpital, ce sont la plupart du temps les AP (Auxiliaire Puéricultrice) ou AS (Aide soignante) selon les services. Parfois les ASH (Agent de Service Hospitalier). Dans d’autres structures, il peut s’agir des secrétaires ou éducateurs.
Cela pose la question de la place accordé à cet interprétariat. En effet, ces professionnels ont donc d’autres missions que celle de l’interprétariat, un autre travail à temps plein.
Or, ce n’est pas simplement traduire qui leur est demandé. En effet, il faut le moduler avec la culture et la langue qu’on ne peut pas transcrire mot pour mot pour faire passer un message précis. Ce n’est pas si simple, et nécessite une formation spécifique, notamment en psychologie pour travailler avec nous, les psychologues, mais aussi dans le domaine d’intervention (justice, soin, accompagnement…). Or, vu que ce n’est pas leur travail principal, il n’y a pas de temps accordé à cela car ce n’est la plupart du temps pas reconnu institutionnellement.
Certains "interprètes" peuvent être mis à mal et être pris dans des enjeux très forts pour eux, n'étant pas formé à recevoir ces témoignages qui peuvent être dur à entendre, ou encore à faire des annonces difficiles.
Certaines structures travaillent avec des interprètes payés pour cela sur le territoire et dont c’est le métier (dans le domaine de la justice notamment: tribunal, SPIP…). Ils sont externes à la structure, et sont sollicités ponctuellement.
Pour ce qui est du shibushi, cela vient rajouter de la difficulté car tous les mahorais ne le parlent pas nécessairement. De plus, avec les différents flux migratoires, c’est encore plus compliqué pour d’autres langues rencontrées : le shingazidja (Grande-Comore), shimoheli (Mohéli), shinzouani (Anjouan), swahili, lingala, kinyarwanda (dialectes d’Afrique de l’est).
Pour ces dernières, il est parfois nécessaire de passer plutôt par l’anglais, langue souvent parlé dans les ex-colonies anglophones.
Le temps FIR
Le temps FIR est une démarche personnelle du psychologue qui comprend les activités d’évaluation par évaluation mutuelle ou d’autre mesure spécifique d’actualisation des connaissances, la réalisation de travaux de recherche, de collaboration à des actions de formation ainsi que d’accueil d’étudiants en psychologie effectuant un stage.
Le temps FIR est un temps prévu par le décret portant statut particulier des psychologues de la fonction publique hospitalière (FPH). Pour les psychologues de la FPH : La circulaire DGOS du 30 avril 2012 a précisé que le bénéficie du droit au temps FIR est accordé à l’ensemble des psychologues titulaires, stagiaires et contractuels de droit public.
Cependant, il n’est pas obligatoire dans les autres structures.
En effet, il n’y en a notamment pas à l'association de Mlezi maore. (PJJ ? Educ Nat ?)
Il peut aller jusqu’à 1/3 du temps de travail, et est alloué à hauteur de 1 journée par semaine au CHM par exemple.
Dans le cadre de ce temps FIR, le psychologue effectue une démarche personnelle qui comprend :
- un travail d’évaluation prenant en compte sa propre dimension personnelle, effectué par évaluation mutuelle ou par toute autre méthode spécifique.
- l’actualisation de ses connaissances concernant l’évolution des méthodes et l’information scientifique
- la participation, la réalisation et la communication de travaux de recherche.
- une collaboration à des actions de formation, notamment auprès des personnels de la fonction publique hospitalière, et auprès des écoles ou centres de formation qui y sont rattachés. Il peut également être chargé de l’accueil d’étudiants en psychologie effectuant un stage.
Toutes facilités doivent être données aux psychologues pour permettre cette formation et rendre possible le suivi d’enseignements ou de formations, le cas échéant à l’extérieur de l’établissement. Ils bénéficient d’un ordre de mission annuel.
Les activités liées au temps FIR ne peuvent pas donner lieu à rémunération autre que celle liée au service fait du fonctionnaire dans le cadre de ses obligations de service.
Dans tous les cas, si vos structures ne proposent pas de temps FIR, ne pas hésiter à faire valoir les nombreux avantages pour votre pratique ! :)
Les expertises psychologiques sur le territoire
L'expertise psychologique renvoie à ce qui est demandé par les instances judiciaires, à travers une Ordonnance de Commission d'Expert qui correspond à une réquisition (soit demandée par l'instruction, soit par la cours d'appel, soit directement par les gendarmeries sur les enquêtes préliminaires).
Les psychologues sont régulièrement sollicités par le tribunal pour effectuer des expertises psychologiques, que ce soit pour des auteurs ou des victimes de crimes.
Cette expertise se distingue en deux aspects: le rapport d'expertise (le document que l'on s'engage à rendre à la justice et qui sert dans les procédures) et l'évaluation psychologique, ou examen psychologique, ou examen clinique, termes plus cliniques qui renvoient à la démarche effectuée auprès de la personne dans l'objectif de rédiger le rapport d'expertise (donc concrètement, cela renvoie au temps de rencontre avec la personne, à son évaluation clinique et aux outils utilisés lors de ce temps).
Historiquement, les psychologues du CHM se sont progressivement positionnés en refusant les expertises parce que sur les réquisitions étaient inscrites au nom de « Psychologue chm », or il n’est pas possible de refuser lorsque l'ordonnance de commission d'expert est rédigée.
Les psychologues étaient obligés de faire toutes les expertises sur leur temps de travail, en plus de leur charge de travail habituelle, et sans pouvoir les refuser. L'idée du positionnement CHM était que chaque professionnel puisse choisir ou non d'en faire, et que cela soit fait hors du temps professionnel au CHM puisque c'est une prestation facturée et que les psys qui les font sont payés pour cela (et si cela était fait à l’hôpital, c’est l’hôpital qui était rémunéré).
En parallèle, une demande de formation avait été faite auprès du tribunal, qui n’a jamais aboutie.
De plus, se posait la question du lieu permettant d’effectuer ces évaluations. En effet, il n’y avait pas de lieu mis à disposition pour ces entretiens, mais il apparaissait compliqué de les proposer sur l’hôpital, ou sur le temps de travail, la cadre de cette intervention ne relevant pas du soin mais d’une demande de justice.
Au niveau des textes de lois, les expertises psys ne peuvent pas être réalisées par des jeunes professionnels, mais aucun délai précis n'est exigé. L'appréciation de ses compétences ou non à faire des expertises est laissée à chaque professionnel...
Il est préconisé d'avoir au moins 5 années d'expériences.
Enfin, le statut des professionnels réalisant ces expertises diffèrent de celui de la métropole : En effet, en métropole, la plupart sont recrutés directement par chaque Tribunal; il existe une liste nationale qui s'appelle Cassiopée. Or. les délais d'inscription sont longs.
Etant donné le turn-over important de Mayotte, c'est très peu pratiqué. D'autant plus qu’en étant inscrit sur la liste Cassiopée, il n’est pas possible de refuser une expertise (alors qu'en tant que prestataire occasionnel c’est possible). En contre-partie, en étant inscrit sur cette liste, la rémunération par expertise est plus avantageuse.
La CUMP à Mayotte
(Cellule d’urgence Médico Psychologique)
La CUMP est une équipe de soignants, qui travaille en lien étroit avec le SAMU et les hôpitaux publics. Son rôle est de prendre en charge le plus précocement possible la souffrance psychique et psychologique des personnes exposées à un évènement exceptionnel.
La CUMP de Mayotte était à la base rattachée à la psychiatrie du CHM. Elle était donc constituée de personnes ayant déjà employées en psychiatrie et qui devaient se détacher lors d’évènements potentiellement traumatiques pour faire des defusing et débriefing. Cependant, cela nécessite tout un travail de coordination, de l’organisation, du temps et des moyens qui n’étaient pas alloués à la psychiatrie.
Une « CUMP » de Mayotte a été mise en place quelques fois lors d’évènements ponctuels très médiatisés, de manière politisée et sans penser à une pérennisation sur le territoire, donnant lieu à la désolidarisation de la psychiatrie.
C’est maintenant la CUMP de la Réunion qui intervient de manière épisodique à Mayotte.
Un poste de coordinateur a été financé pour pérenniser cette CUMP sur Mayotte (médecin, psychologue ou infirmier), auquel s’ajouteraient les soignants volontaires pour intervenir lors de ces évènements. Ces soignants seraient liés à l’hôpital.
> Ce poste est pour le moment vacant.
Sur l’exemple de la Réunion, un réseau de professionnels dans le privé pourrait compléter cette offre de soin, pour prendre en charge les évènements ne relevant pas de la CUMP (la CUMP s’occupant d’évènements avec potentiel traumatique, donc lien direct avec la mort).
Le Handicap à Mayotte
Pour commencer, rappelons que la loi du 11 février 2005 défini le handicap de la manière suivante : « Art. L. 114. - Constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d'activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d'une altération substantielle, durable ou définitive d'une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d'un polyhandicap ou d'un trouble de santé invalidant. ».
A Mayotte, la prise en charge du handicap est encore en plein développement. La MDPH a été créée en 2016 afin d’orienter les personnes présentant un handicap vers l’établissement ou le service médico-social adapté. Elle délivre aussi des notifications pour accéder à une aide financière, des cartes d’invalidité, des moyens d'adapter la scolarité, des reconnaissances de la qualité de travailleur handicapé, etc. Pour répondre à ces notifications, des structures se créent pour prendre en charge chaque personne le nécessitant. Cependant, Mayotte recense beaucoup de personnes en situation irrégulière et celles-ci n'obtiennent pas toujours les aides nécessaires quand bien même elles disposent de la notification.
Le handicap à Mayotte se confronte souvent à de grandes problématiques : celle de l’isolement et de la précarité dans laquelle se retrouvent les personnes en situation de handicap et cela varie en fonction de leur dépendance (partielle ou totale). En effet, à l'heure actuelle, beaucoup de ces personnes se retrouvent comme confinés à leur domicile (ainsi que certains membre de la familles qui sont souvent les premiers aidants) faute de suffisamment d’établissements d’accueil.
L’accessibilité pour les personnes appareillées est difficile : les routes de Mayotte sont souvent accidentées et les fauteuils roulants et autres moyens d'aide au déplacement ne sont pas toujours adaptés. De même, les habitats ne sont pas prévus pour accueillir des personnes handicapées. Certains, habitent dans des bangas reculés, en hauteur, de l'autre côté d'une rivière, etc...
La représentation du handicap à Mayotte est fortement portée par la religion prédominante ici : l’islam. Il peut être vécu comme une épreuve mise sur le chemin par Allah en preuve de la confiance qu’il a en la personne et presque comme un cadeau. C'est la volonté de Dieu, c'est ainsi.
La personne en situation de handicap a longtemps été cachée par peur du regard d'autrui lié à la méconnaissance du handicap. Aujourd’hui, cela tend à changer mais la sensibilisation au handicap reste un enjeu public primordial ainsi que la garantie de l'accès à la scolarité et au travail pour tous.